Le conte d'Alceste et Hermeline

 

 

Harpe celtique. Marianne Bouvette.

Brocéliande. Héloïse de Jenlis

 

Lune 1

 

 

Maltraité par ses maîtres de la ferme des Fumerôles, Alceste, un âne misanthrope, décide de fuir les humains.

Pourtant, un jour, il finit par trouver une terre où il est enfin à sa place.

Il y rencontre Hermeline, la renarde qui va lui présenter ses amis, Mélusine, Hansel et Gretel, Eros le chat , Sibyl, Athéna la chouette, Mélancolia la lune, Shéhérazade, Narcisse et Ellénore.

Chacun nous racontera son vécu et nous livrera le regard qu'il porte sur l'humanité et la vie.

 

 

 

        Les contes et les mythes que nous aimons nous en apprennent plus sur nous-mêmes que tous les manuels de psychologie.

Miroir 2

 

«Tout conte de fées est un miroir magique qui reflète certains aspects de notre univers intérieur et des démarches qu'exige notre passage de l'immaturité à la maturité.»

Bruno Bettelheim

 

 

                                                                                                                

Lune

                                                                    Alceste       

Alceste

                                                                                     

Quand Alceste arriva dans l'enclos de la ferme des Fumerôles, il crut que c'était le paradis sur terre.

L'herbe du pré était abondante et parfumée, le seau toujours rempli d'eau fraîche.

Les enfants caressaient son doux pelage, décoraient son cou de colliers de fleurs, lui donnaient les noms les plus doux. Et Alceste souriait, heureux de tant de gentillesse.

C'était un ânon candide, tendre et doux.

Il pensa qu'il avait beaucoup de chance de vivre là.

Pourtant, au fil des jours, il comprit que la réalité était tout autre. Les enfants qui le caressaient hier, aujourd'hui tiraient en riant ses oreilles et sa queue, grimpaient sur son dos en le forçant à courir.

Les adultes le chargeaient de fardeaux chaque jour plus lourds et le battaient pour qu'il avance quand il tombait d'épuisement.

Plus de douceur. Plus de tendresse.

Juste la bête de somme qu'on jetterait quand elle ne serait plus utile.

Alceste était patient. Il pensa longtemps, trop longtemps, que ses maîtres pourraient changer, qu'ils verraient sa tristesse.

Une nuit, pourtant, tandis qu'il regardait pour se consoler la lune et les étoiles, il eut la certitude que sa vie ne changerait pas.

Alors, à l'aube, tandis que le fermier s'apprêtait, comme à l'accoutumée, à charger d'énormes sacs sur son dos, d'une ruade haineuse et vengeresse, il l'envoya violemment rouler dans l'herbe du pré jusqu'à la rivière.

Il brisa ensuite la clôture de l'enclos des Fumerôles et s'enfuit de cette terre où il fut si malheureux.

Il connut alors pour la première fois le bonheur d'être libre.

Il buvait l'eau fraîche des ruisseaux, broutait l'herbe tendre des prés quand la faim se faisait sentir, jouait avec les papillons, écoutait les oiseaux, regardait la fuite des nuages, dormait à la belle étoile.

Jamais plus il ne retournerait chez les humains. Plutôt mourir.

    Pourtant, un jour, il vit dans les brumes de l'aube, les ruines d'un château qui firent à nouveau battre son cœur.

                         Là, tout était calme et doux.

Aucun cri d'enfants. Aucune agitation brutale et cruelle.

Etait-ce encore une illusion comme celle de l'enclos de la ferme des Fumerôles?

Cette fois, il prit longuement, très longuement le temps d'observer et d'écouter les lieux...

Un soir, à la douce clarté de la lune, il eut la certitude que sa place était là. Que ce château lui ressemblait.

Athena, la chouette qui vivait là depuis toujours, lui dit qu'il était au Château de Morte Colombe.

 

Autocollant mural ane

 

 

 

                                                                                                            Lune                                                                    Hermeline

Photo d hermeline 1   

 

      Depuis quelques jours, Alceste remarquait que deux yeux dorés et brillants l'observaient.

Enhardi par sa nouvelle liberté et sa confiance retrouvée, il s'avança doucement vers le buisson d'aubépines, écarta quelques branches et vit, tapie sur un sol de mousse tendre, une jolie renarde au pelage roux et au fin museau pointu.

Elle ne sembla pas effarouchée et lui dit qu'elle s'appelait Hermeline.

Hermeline la rusée. Hermeline la voleuse de poules. C'est ainsi que les fermiers l'appelaient en braquant sur elle leur fusil.

Elle lui raconta brièvement sa vie.

Elle avait quitté le terrier après le départ des renardeaux et vivait désormais seule et libre dans les bois du Château de Morte Colombe.

Loin des humains dont elle se méfiait.

Alceste ne put qu'approuver sa méfiance et lui fit part à son tour de sa cruelle désillusion sur l'enclos de la ferme des Fumerôles.

Pour la seconde fois, il perçut ce qu'il avait déjà éprouvé en arrivant sur ces lieux.

Avec Hermeline, la renarde, il se sentait à sa place.

Le Château, Hermeline et Alceste se ressemblaient.

Un même paysage intérieur les unissait.

Hermeline lui fit découvrir les endroits les plus secrets du domaine, les baies les plus délicieuses, les sources les plus fraîches.

Et ils finirent par ne plus se quitter tant ils partageaient les mêmes goûts, le même regard sur la vie, la même méfiance.

 

Sticker renard

                                                                                                                 Lune

                                                                                        Mélusine, la fée Amour

Apesanteur 1

             

 

       Arrivée dans les bois du Château de Morte Colombe bien avant Alceste, Hermeline s'y était fait quelques amis.

La première fut Mélusine, la fée Amour.

La légende disait que Mélusine avait pris l'apparence d'une très belle femme pour séduire l'homme qu'elle aimait et qu'elle s'enfermait chaque soir dans sa chambre, loin des regards, pour se métamorphoser en femme-serpent.

Hermeline, la rusée à la belle fourrure rousse, savait pourquoi les humains avaient inventé une telle légende.

Les hommes qui dirigeaient le monde avaient tellement peur de l'intelligence, de la beauté, de la séduction de Mélusine, tellement peur qu'elle leur vole le pouvoir de vie et de mort qu'ils possédaient depuis des siècles, qu'ils firent de Mélusine une créature perverse, maléfique, lubrique, menteuse, méchante, tueuse, monstrueuse.

Les mêmes avaient rendu Eve et Pandore responsables de tous les maux de l'humanité.

La première parce qu'elle avait désobéi en goûtant le fruit défendu de l'arbre de la Connaissance.

La seconde parce qu'elle avait ouvert le couvercle de la boîte interdite en laissant échapper tous les malheurs des humains. Seul l'Espoir était resté au fond.

Femmes curieuses, femmes désobéissantes comme l'épouse de Barbe Bleue.

Pour expliquer les naufrages, les mêmes racontaient que les Sirènes avaient séduit les marins de leur chant pour les dévorer.

Ils disaient aussi que Mélusine, chaque nuit, se rendait au sabbat, toujours accompagnée d'un chat noir, pour rejoindre Satan et Lilith, son amie, qu'ils faisaient des sacrifices humains, buvaient le sang d'enfants innocents.

Les pires ennemis de Mélusine étaient les hommes d'Eglise.

Papes, prélats, inquisiteurs, archevêques, évêques, moines, curés, dévots.

Mélusine n'était qu'une sorcière dangereuse qu'il fallait brûler sur le bûcher au plus vite, avec toutes les autres.

Les médecins aussi suivirent longtemps les hommes d'Eglise et les enfermèrent dans de misérables hospices avec les fous.

Femmes folles. Femmes hystériques. Femmes dépravées. Femmes utérus. Femmes-Sirènes. Femmes-Serpents. Femmes-Lilith. Femmes désobéissantes.

Femmes sans dieu. Femmes sans maître.

Pourchassée par tant de haine et de cruauté, Mélusine, un jour, décida, elle aussi, de quitter le monde des humains.

 

Au bout d'un long temps d'errance, elle vit dans les brumes de l'aube les ruines d'un château qui firent à nouveau battre son cœur désespéré.

        Là tout était calme et doux.

Pas de moine, pas de chapelain, pas de nonne, pas de croix, pas de vêpres ni de matines, pas de seigneur cruel.

Elle eut très vite la certitude que sa place était là.

Hermeline, qui avait appris à lire dans les cœurs, sut tout de suite que Mélusine était l'Amour. La fée Amour.

Comme son amie Lilith, elle n'avait pas eu d'autre choix, pour sauver sa vie, que d'apprendre à être plus forte , plus intelligente que ses tueurs, à désobéir, à briser les idoles. A tuer, s'il le fallait, pour rester en vie.

Au Château de Morte Colombe tout le monde l'aimait.

Elle venait rejoindre ses amis, le soir, au clair de lune, toujours suivie d'Eros, son chat noir aux yeux d'or.

Elle apaisait de son chant leur âme mélancolique, soignait les blessures de leur corps avec des baumes et des tisanes faits avec les plantes du domaine.

Confiance, estime, douceur, calme et joie de vivre les unissaient tous.

Alceste sut tout de suite que son amie Hermeline ne se trompait pas. Que Mélusine était bien la fée Amour.

Il versa quelques larmes tant l'histoire de Mélusine lui rappela la sienne dans l'enclos de la ferme des Fumerôles et

lui sourit en frottant contre elle son doux museau d'âne gentil.

 

 

Melusine 5

                                                                                                             

 

Lune

 

 

 

 

 

                                                                                          Hansel et Gretel      

 

Hansel et gretel

 

              Le conte disait que leur père, un pauvre bûcheron, les avait abandonnés dans la forêt. Ils erraient perdus au milieu des bois sombres quand ils virent une jolie maison en pain de sucre. C'était celle d'une méchante sorcière qui aurait enfermé Hansel dans une cage tandis que Gretel lui servait de servante en le nourrissant jusqu'à ce qu'il soit assez gros pour que la sorcière le mange. Mais Gretel aurait poussé la sorcière dans le feu destiné à la cuisson de son frère et les deux enfants auraient retrouvé leur liberté et seraient retournés heureux chez leur père.

 

Mais Hansel et Gretel disaient que cette histoire n'était que mensonge. Que la réalité était tout autre. Qu'il n'y avait jamais eu de méchante sorcière ni de jolie maison en pain de sucre. Que le seul responsable de leur malheur était ce père qui les avait abandonnés après leur avoir donné la vie.

Que jamais ils ne cherchèrent à retourner chez leur père, dans son taudis. Plutôt mourir.

Une fois, ils avaient rencontré le Petit Poucet et ses frères abandonnés eux-aussi par leurs parents dans la forêt.

Pour retrouver sa maison, le Petit Poucet aurait semé des cailloux que les oiseaux, cette fois, ne pourraient pas manger.

Hansel et Gretel ne comprenaient pas pourquoi il voulait revenir chez un père qui les avait abandonnés.

Ils ne comprenaient pas davantage pourquoi des humains adoraient un dieu qui avait abandonné son fils écorché vif sur la croix et qui était incapable de les protéger des guerres, des famines, des terribles catastrophes naturelles, des épidémies.

Ils croisèrent aussi des enfants effrayés fuyant la violence des humains, des animaux domestiques abandonnés dans la forêt par des maîtres qui n'en voulaient plus.

C'est là qu'ils rencontrèrent Wendy, une douce petite chienne noire timide et tremblante, qui aima tout se suite Hansel et Gretel et choisit de les suivre partout où ils iraient.

Ils se dirent que les humains pouvaient être décidément bien cruels et irresponsables.

Ils avaient marché longtemps, se nourrissant de ce que la nature leur offrait, buvant l'eau des sources, dormant à la belle étoile.

 

   Un jour, dans les brumes de l'aube, ils virent les ruines d'un château qui firent à nouveau battre leur cœur.

               Là tout était beau, calme, doux, harmonieux.

Plus de mansarde misérable. Plus de bûcheron toujours ivre. Plus de pleurs de mère accablée et soumise.

Hansel et Gretel eurent la certitude que leur place était là.

Souvent ils retrouvaient les fées. Mélusine, la fée Amour, Sibyl, la fée rêveuse, sa vieille amie Shéhérazade, la fée conteuse, et le joyeux Narcisse, l'épouvantail qui n'épouvantait personne et était l'ami des oiseaux.

Leur vie n'était plus désormais que joie, confiance, estime et tendresse.

 

 

                                                                                                                    Lune                                                                                 

 

                                                                                          Eros

Eros le chat 1

                                                                                         

Eros était un chat noir aux yeux d'or.

Lui, contrairement au candide Alceste, s'était toujours méfié des humains.

C'est vrai, il aimait parfois somnoler sur un joli coussin, dans la douce chaleur d'un foyer, laper une écuelle de lait frais ou ronronner de plaisir des caresses de sa gentille maîtresse. Mais il se tenait toujours sur ses gardes, prêt à fuir.

Il gardait en mémoire toutes les cruautés dont ses ancêtres avaient été victimes.

Sa sensualité, son mystère, sa liberté effrayaient l'Eglise.

Il ressemblait à la femme perverse, rusée, lubrique.

Elle l'associait à la sorcière, à la lune maléfique, aux rites sataniques et avait fait du chat noir un présage de mort, une incarnation du Diable.

On racontait que Gaufrid, cruel inquisiteur de Carcassonne,

avait été tué par deux chats noirs, dans son lit, après avoir condamné au bûcher pour sorcellerie des centaines de femmes jeunes et vieilles, toutes belles, séduisantes, libres ou détentrices d'un savoir.

Ou encore qu'un chat noir, qu'un pêcheur avait pris dans ses filets pour débarrasser son logis des souris, étrangla toute sa famille.

Tous les trois ans, le deuxième dimanche de mai, on célébrait en Belgique le Kattenstoet, le cortège des chats.

Ce jour-là toute la ville poursuivait les chats. Ceux qui avaient été attrapés étaient jetés du haut du beffroi.

Musiques, danses, rires et cris de joie accompagnaient ce rituel sadique.

 

Eros, le chat noir aux yeux d'or, pensa qu'il n'avait vraiment pas sa place chez ces humains superstitieux, grossiers, incultes et cruels.

Alors il partit, préférant sa liberté au doux coussin, à l'écuelle de lait frais, aux caresses de sa gentille maîtresse.

Il marcha longtemps, très longtemps.

Un jour, il vit dans les brumes de l'aube, les ruines d'un château qui firent à nouveau battre son cœur.

      Là tout était délicat, calme et doux.

Pas d'église. Pas de chapelle. Pas de beffroi. Pas de cris d'enfants.

Eros prit longuement, très longuement, le temps d'observer et d'écouter les lieux...

Un soir, à la douce clarté de la lune, il eut la certitude que sa place était là.

 

Il aima tout de suite Mélusine, la fée Amour. Il l'accompagnait partout et vivait dans son mystérieux manoir au milieu d'un enclos du domaine de Morte Colombe.

 

L enclos 1

Souvent, il rejoignait Ellénore, la dame du Château , ronronnait sur la table où elle s'amusait à gratter rapidement du papier. Sa plume courait sur la feuille en y laissant des notes noires. Elle s'arrêtait, rêvait ou réfléchissait puis reprenait son jeu mécanique qui plaisait tant à Eros.

Deux femmes venaient parfois lui rendre visite. Madame de Merteuil et Aurore Sand.

Elles vivaient non loin du Château de Morte Colombe.

Ellénore estimait beaucoup ces deux femmes libres et drôles.

Eros, le chat, ronronnait alors de plaisir en les écoutant.

On disait la première cruelle, perfide, tueuse de cœurs.

Mais comment se défendre autrement au milieu de cette cour de comtes, vicomtes, petits marquis cyniques, tout puissants, pour qui la femme n'était qu'une proie?

La seconde portait pantalon, fumait le cigare et avait choisi le prénom d'un homme comme nom de plume. Georges Sand. Si vivante, chaleureuse, gourmande, amoureuse des mots, des hommes et de la nature, elle charmait toujours Ellénore de ses histoires mystérieuses.

 

Dionysos, le moineau, était sans doute, avec Athéna, la chouette, celui qui connaissait le mieux Ellénore.

Dès que le jour se levait, il s'envolait sur le rebord de sa fenêtre et chantait pour elle jusqu'à la tombée de la nuit.

Peut-être était-elle sa dame de cœur.

Dionysos n'avait pas peur d'Eros, le chat. Au château de Morte Colombe, un chat ne tue pas un oiseau.

Eros, le chat aimait aussi retrouver Mélancolia, la lune, Mélusine, la fée Amour Sibyl, la fée rêveuse et Shéhérazade, la fée conteuse.

A l'évidence, Eros préférait la compagnie des femmes.

 

 

 

Lune

 

                                                                              Sibyl, la fée rêveuse

La fee reveuse

 

 

Sibyl arriva au château de Morte Colombe peu après la renarde.

Sibyl Vane était «une jeune fille d' à peine dix-sept ans, avec un petit visage en forme de fleur, une mince tête grecque avec des rouleaux tressés de cheveux châtain foncé, des yeux violets, profonds comme des puits pleins de passion, des lèvres ressemblant à des pétales de rose.»

C'est ainsi que Dorian Gray la décrivit à son ami Harry.

Il la vit pour la première fois dans un petit théâtre misérable.

Elle jouait le rôle de Juliette. Sa mère, une femme lasse et fanée, celui de Lady Capulet. Son jeu, comme celui de tous les autres acteurs de la troupe, était grotesque.

Seule Juliette était sublime aux yeux de Dorian Gray.

Il tomba tout suite éperdument amoureux de cette sylphide.

Et comme la douce et innocente Sibyl ne savait rien de la vie, elle fut certaine que ce lord si élégant, si passionné, était le Prince charmant.

Tout lui paraissait maintenant si laid, si hideux, si vulgaire, si faux, si pitoyable dans ce théâtre. Aussi quitta-t- elle tout pour le suivre.

Mais de retour à la réalité, les masques tombés, le Prince charmant ne vit plus une créature sublime et sacrée mais une pauvresse, une actrice médiocre et fatiguée.

Et ce nouveau regard tua sur le coup sa passion pour Sibyl. Il n'éprouva plus pour elle que mépris, dégoût, honte de l'avoir aimée.

L'histoire dit que Sibyl se tua alors de désespoir.

 

Mais Hermeline et ses amis savaient que Sibyl n'était pas morte après l'abandon cruel de Dorian Gray.

Elle avait quitté l'horrible théâtre et le taudis qu'elle partageait avec sa mère et s'était enfuie loin du monde des humains où tout n'était qu'apparence, jeu, mensonge et illusion.

Son cœur était bien mort mais elle continuait à marcher, blême, telle une âme errante, une folle ou une poupée mécanique.

Elle marchait, marchait...sans jamais s'arrêter, sans but.

C'est tout ce qui la maintenait encore en vie.

 

 Un jour, au bout d'un long, très long temps d'errance, elle vit dans les brumes de l'aube les ruines d'un château qui firent à nouveau battre son cœur mort.

        Là tout était délicat, harmonieux, transparent.

Plus de décor hideux. Plus de fard. Plus de masque. Plus de déguisement. Plus de public grossier. Plus de Prince charmant.

 

Hermeline et ses amis crurent d'abord que c'était une âme errante tant Sibyl était pâle et triste.

Shéhérazade, la fée conteuse qui savait tout de la vie des humains, devina qu'elle avait toute sa place parmi eux, dans le domaine de Morte Colombe.

La douce et tendre Sibyl ne quitta plus ses nouveaux amis car son cœur avec eux était apaisé.

Wendy, la petite chienne noire abandonnée, qui avait suivi Hansel et Gretel, reconnut tout de suite une âme sœur et lui donna beaucoup d'amour.

Pourtant quelque chose les inquiétait.

Sibyl restait tout le jour assise, pensive, encore bien triste, et se posait inlassablement cette question restée pour elle

sans réponse: «Comment un homme éperdu d'amour, pouvait-il se métamorphoser brutalement en un monstre cruel, pervers, tueur de vie et d'espoir?»

Elle cherchait une réponse dans la boule magique qu'elle tenait dans sa main gauche mais la boule restait muette.

Un matin, Shéhérazade qui lisait dans le cœur des humains comme dans un livre, comprit qu'elle n'avait pas d'autre choix que d'apporter à Sibyl la réponse qu'elle attendait.

Elle s'assit sur une pierre, au bord d'un ruisseau, tout près de Sibyl, et commença à lui raconter l'histoire de tant d'amoureuses abandonnées.

Celle d' Ellénore, morte de désespoir, un pâle matin d'hiver, quand elle lut dans une lettre qu'Adolphe, qui l'avait aimée de passion, s'était lassé d'elle.

Celle d'Ariane abandonnée lâchement par Thésée sur un rivage de l'île de Naxos.

L ingrat devait épouser la jeune fille qui fit de lui un héros en lui offrant deux précieux cadeaux: une épée pour tuer le monstre et une pelote de fil qu'il déroulerait progressivement jusqu'au fond du labyrinthe et qui le ramerait, au retour, à la lumière du jour où l'attendait Ariane .

Mais Thésée, lâche et ingrat, l'abandonna sur le rivage où elle s'était endormie.

Celle de la courtisane, Marguerite Gautier, la dame aux camélias, abandonnée par son stupide amant injustement jaloux.

Elle lui raconta des centaines d'autres histoires d'amoureuses passionnées mortes de désespoir.

Elle ajouta qu'elle avait toujours beaucoup de tendresse pour ces femmes trop aimantes mais qu'elle les trouvait bien insensées, bien sottes d'avoir sacrifié leur vie pour des hommes cruels, inconstants, lâches, menteurs, arrogants dépourvus de toutes les précieuses qualités cultivées au château de Morte Colombe.

Shéhérazade préférait l'intelligence de la marquise de Merteuil, jamais dupe de ces liaisons dangereuses.

Elle lui donna ensuite la réponse à la question qui l'obsédait.

Toutes ces centaines de récits lui prouvaient que les humains ne changeraient pas. Qu'ils étaient ainsi faits depuis toujours. Que l'amour n'était le plus souvent qu'un jeu de séduction, une partie de chasse, une illusion, une guerre où il fallait être la plus forte pour ne pas mourir.

Que le Prince charmant ressemblait souvent à Barbe bleue.

Que l'amour qu'elle attendait n'était sans doute que dans les jolis contes. Et que s'il existait, il était aussi rare qu'un rameau d'or dans une forêt sombre.

 

Sibyl l'écouta attentivement, posa sa boule magique toujours muette et embrassa tendrement son amie, la sage Shéhérazade, pour la remercier de ce si précieux cadeau.

Elle avait enfin trouvé la réponse à sa question.

A partir de ce jour-là, elle ne resta plus jamais longtemps triste.

Et quand de sombres souvenirs l'assombrissaient, elle les chassait aussitôt en chantant de douces mélodies accompagnée de sa harpe et entourée de ses fidèles et tendres amis.

 

Broceliande 3   

 

                                                                         Lune

 

                                                                              Athéna Athena la chouette hulotte

 

    La cinquième fut Athéna, la chouette hulotte. Elle plut tout de suite à Alceste.

Contrairement aux autres amis d'Hermeline, Athéna avait toujours vécu au château de Morte Colombe.

Elle s'était installée dans la tour la plus haute du château bien avant l'arrivée d'Ellénore.

Ses seuls amis étaient alors Mélancolia, la lune et Nocturne le hibou.

Le château n'était alors que ruines inhabitées.

 

 Athena gardait en mémoire l'obscurantisme, les superstitions, la vilenie dont ses ancêtres avaient été victimes.

Les humains disaient que la chouette et le hibou annonçaient la maladie, la mort, le froid, les ténèbres.

Les Romains racontaient que le meurtre de César fut annoncé par le cri des hiboux.

Pour les hommes du moyen âge, le hibou était le Juif, responsable de tous les maux et que la chouette, rouée, trompeuse, profitait de la nuit pour chasser ses proies aveugles tandis qu'elle les voyait comme en plein jour.

Aussi, souvent, la clouaient-ils sur une porte pour conjurer le mauvais sort ou éloigner les sorcières et le Malin.

 

  Un soir, quand Athéna vit les ruines du château de Morte Colombe dans la douce clarté de la lune, son cœur lui dit que ce lieu lui ressemblait.

               Là tout y était libre, apaisant et harmonieux.

Pas de moine, pas de chapelain, pas de croix, pas de vêpres ni de matines.

La chouette eut tout de suite la certitude que sa place serait bien là jusqu'à la fin des temps.

Elle s'installa dans la plus haute tour du château.

Dès qu'elle percevait une créature susceptible de troubler le bel équilibre des lieux, elle le faisait fuir par des hululements effrayants et lugubres.

Elle fut la première à voir Ellénore la dame du château.

Sa mélancolie douce, sa liberté, sa détermination l'enchantèrent tout de suite. Sa place, à l'évidence, était là.

Avec Prométhée, son ami le vieux chêne, elle l'accueillit fort courtoisement.

Après l' installation d'Ellénore, les ruines du château reprirent un peu de vie.

Quelques fenêtres s'illuminèrent et l'on entendit un oiseau chanter.

Tous les autres amis d'Hermeline les rejoignirent au fil du temps.

Ils se retrouvaient tous les soirs dans la douce lumière de la lune Mélancolia, tantôt silencieux, tantôt attentifs aux contes de Shéhérazade.

Nuit de Noël

 

 

Lune

 

                                                                             

                                                        Mélancolia

 

Rituel de la lune. Naïssam Jalal

Healing Rituals

 

Lune 161015 01h10m 5c 2 1

                    Mélancolia, la Lune, observait toutes les nuits la planète Terre depuis sa création.

Elle savait que beaucoup d’humains lui préféraient le fier et éclatant Phébus, le Soleil. Ils vénéraient ce dieu de clarté, de vérité, de force, de vie, oubliant que ses rayons incontrôlés brûlaient souvent toutes leurs récoltes, desséchaient leur terre et les tuaient de faim et de soif.

Astre de la nuit, né des ténèbres, de l’inconnu, du royaume des morts, des démons, la lune était pour eux, aussi maléfique que le chat noir et la sorcière.

Trop mélancolique, trop secrète, trop mystérieuse, trop inquiétante. Trop inconstante aussi, trop imprévisible, trop déconcertante et capricieuse comme la femme.

Lune dorée, lune noire, lune rousse, lune rouge sang, lune bleue, lune pleine, lune croissant, lune gibbeuse, lune éclipsée.     

 

Lunes

Phébus, le Soleil, lui au moins, était constant, sans mystère, sans duplicité.

Mélancolia connaissait bien les humains qui préféraient sa douceur, son mystère à l’arrogante clarté du soleil.

Elle était aimée des cœurs sans illusion, des âmes errantes qui n’avaient pas trouvé leur place dans le monde trop rustre, trop cruel, trop violent des humains.

Des cœurs qui avaient préféré le fuir et chercher une autre planète où la vie leur était encore possible.

Mélancolia, la lune, ne trouvait pas la terre très jolie elle non plus.

Elle aurait bien aimé s’éclipser plus souvent comme Alceste, Hansel et Gretel, Mélusine, Sibyl et leurs amis.

Ou les effrayer avec sa robe noire ou rouge sang.

Mais comme cela lui était impossible, pour occuper ses nuits, elle chercha, sur terre, un paysage qui lui ressemblait.

Après plusieurs nuits de recherche, elle vit dans les toutes premières brumes de l’aube les ruines d’un château qui firent à nouveau battre son cœur.

                        Là tout était délicat, doux, mystérieux.

Pas de dieu tout puissant. Pas de maître dominateur. Pas de femme soumise à son seigneur. Pas d’âmes superstitieuses et ignorantes.

Elle eut très vite la certitude que ce qu’elle cherchait était là.

Toutes les créatures qui y avaient trouvé leur place lui ressemblaient. Surtout Mélusine, la fée sorcière, Eros, le chat et Ellénore, la dame du château.

Libres, sans dieu ni maître à vénérer, ils aimaient tous le mystère et la douce mélancolie du château de Morte Colombe, la musique et les mots.

Mélancolia, la lune, fut si heureuse d’avoir enfin trouvé ce qu’elle cherchait qu’elle décida de garder pour eux seuls sa lumière la plus douce et la plus chaude.

Elle demanda aussi à ses amies, les étoiles, de leur envoyer parfois quelques poussières d’or.

Chaque soir elle illuminait le domaine de Morte Colombe et tous savaient qu’elle était leur amie.

 

Lune 251215c 2 1

 

 

 

Lune                                                       Shéhérazade, la fée conteuse

Melusine 1

 

 

 

            Shéhérazade, la fée conteuse, arriva au château de Morte Colombe peu après Mélusine, la fée Amour.

Femme d’une grande beauté, elle était aussi très intelligente, et excellente conteuse.

La légende raconte que le sultan Chahriar, pour se venger de l’infidélité de sa première épouse, s’unissait chaque soir à une jeune vierge, puis, à l’aube, passée la nuit de noces, il l’étranglait. Aucune femme, ainsi, ne pourrait plus le trahir.

Shéhérazade fut sa dernière épouse.

Plus rusée que les précédentes, elle commença à raconter au sultan une histoire passionnante sans la terminer.

Le sultan, dont la curiosité était insatisfaite, attendit donc le lendemain pour la tuer.

Shéhérazade continua ainsi pendant mille et une nuits.

La légende raconte que Chahriar, le sultan, séduit par tant d’intelligence et de talent, lui fit grâce et en fit sa légitime épouse.

Mais Hermeline, la renarde, et ses amis savaient que l’histoire ne se termina pas ainsi.

La vérité était que le cruel sultan mourut brutalement la mille et unième nuit, sans connaître la fin de l’histoire.

La belle Shéhérazade s’enfuit du palais, profitant du profond sommeil des eunuques qu’elle avait enivrés d’un puissant breuvage.

On racontait qu’en France, en Aquitaine, une reine belle, intelligente, libre et éclairée invitait dans son château poètes, ménestrels et troubadours.

Là tout n’était que courtoisie, raffinement et liberté d’aimer.

Elle s’appelait Aliénor d’Aquitaine.

« Chantez-moi ce qui n’existe pas », demandait-elle à ses

troubadours, lassée par tant de violence, de cruauté des seigneurs qui l’entouraient.

C’est là que voulait vivre Shéhérazade, loin de ce palais, de ce pays où la femme n’était sur terre que pour procréer ou offrir du plaisir à son seigneur.

Elle se déguisa en ménestrel, alla voir son ami Aladin, le magicien. Il lui offrit un tapis volant et c’est ainsi qu’elle arriva un soir à la cour d’Aliénor d’Aquitaine.

Elle y passa des années merveilleuses.

Les légendes du roi Arthur, de la forêt de Brocéliande, de Merlin l’enchanteur, celle si belle et si triste de Tristan et Iseult ravissaient son cœur et son esprit.

Elle riait aussi beaucoup des ruses du goupil, de l’impiété de Tibert, le chat, des fables et fabliaux qui se moquaient des riches vilains si rustres et des chapelains cupides, ignorants et sots.

A la mort d’Aliénor, Shéhérazade pensa qu’elle devait à nouveau s’en aller.

Les chevaliers ne pensaient plus qu’à guerroyer, à partir en croisade et vénéraient plus la vierge Marie que la dame de leur cœur.

Pouvoir et Vilenie remplacèrent Courtoisie.

Shéhérazade chercha longtemps, très longtemps, un coin de terre où elle pourrait vivre heureuse et libre jusqu’à la fin des temps, s’arrêtant le soir dans quelque auberge ou château qui offrait l’hospitalité à la merveilleuse conteuse qu’elle était.

Un jour, elle vit dans les brumes de l’aube les ruines d’un château qui firent à nouveau battre son cœur.

Il ressemblait à un fier château cathare détruit par un cruel inquisiteur ou un Dominicain fanatique.

          Pourtant là tout était délicatesse, douceur, liberté et beauté.

Pas de sultan cruel. Pas de prison dorée. Pas de seigneurs tyranniques et violents. Pas de tiare ni de croix.

Shéhérazade eut tout de suite la certitude que sa place était là.

Toujours drôle, joyeuse, sage, d’humeur égale, elle charmait de ses contes, mythes et légendes tous ses amis de Morte Colombe.

Elle savait aussi apaiser par de jolis et tendres récits les cœurs les plus blessés comme celui de Sibyl, la fée rêveuse. Alceste en avait fait sa dame de cœur.

Tous l’aimaient.

Shéhérazade venait s’asseoir sous la fenêtre ouverte d’Ellénore quand son amie, madame Sand, lui parlait d’un pays de brumes, de marécages, de mare maudite, de landes hantées, de sortilèges, d’âmes errantes et elle frissonnait de plaisir.

C’était maintenant une très vieille fée sorcière, comme sa douce amie Mélusine, la fée Amour, arrivée avant elle au château de Morte Colombe.

 

 

La fée cabossée

 

 

 

                                                                                                                              Lune                                                        Narcisse

Narcisse 1

 

 

   Il ne fut d’abord qu’un joli mannequin de tissus et de bois.

Un jouet de Marinette, la plus jeune fille du riche fermier de l’enclos des Fumerôles, l’ancien maître violent et cupide d’Alceste, l’âne.

Le fermier se dit que ce mannequin pourrait bien lui servir d’épouvantail. Il protégerait ses fruitiers, semis et récoltes de tous ces stupides oiseaux voleurs juste bons à être rôtis à la broche.

Alors, sans demander à Marinette son accord, il prit le pantin et alla le planter, sans aucun égard, au milieu de son champ. Il lui ordonna de semer la terreur en agitant ses bras et partit, satisfait, se coucher.

Le lendemain et les jours suivants, le riche fermier constata que non seulement l’épouvantail n’épouvantait personne mais qu’il attirait pies, corbeaux, pinsons, fauvettes, alouettes, ortolans, moineaux...bref toute la gent ailée avec son sourire candide, son air débonnaire et inoffensif.

Le fermier rentra alors dans un colère rouge, arracha le mannequin de la terre et le jeta brutalement sur un tas de branches sèches qu’il brûlerait le lendemain.

Touchée par tant de gentillesse et de naïveté, Mélancolia, la lune qui voyait tout, demanda à sa meilleure amie Vénus, l’étoile du berger, d’envoyer quelques poussières d’or sur le pauvre jouet.

Aussitôt dit, aussitôt fait.

Le mannequin sortit de son triste destin d’objet soumis et, quoique naïf, il comprit vite qu’il ferait bien de prendre les jambes à son cou avant le lever du jour.

Quand Dionysos, le moineau, vit son ami jeté sur un tas de branches qui seraient brûlées le lendemain, il comprit qu’il était plus judicieux de fuir avec lui s’il ne voulait pas finir en brochette ou en salmis dans l’assiette du fermier des Fumerôles.

 

Il marcha longtemps, très longtemps, à travers bois et forêts toujours suivi de Dionysos, le moineau.

Un jour, il vit, dans les brumes de l’aube, les ruines d’un château qui firent battre son jeune cœur.

Là tout n’était que douceur, confiance, gentillesse et joie de vivre.

Pas de fermier brutal. Pas de piège à filet ou à glu. Pas de matole. Pas de fusil.

Hansel et Gretel en firent tout de suite leurs amis.

Alceste se réjouit du nom du moineau. Sans doute parce que l’âne est un animal aimé du dieu Dionysos tellement plus drôle, plus vivant, plus joyeux que l’arrogant et orgueilleux Apollon.

Maintenant qu’il était bien vivant, grâce au pouvoir magique des poussières d’étoiles, il fallait lui trouver un nom.

Le choix se porta sur Narcisse, le nom d’une lumineuse fleur jaune bordée de rouge.

Ce nom plut à tout le monde et Narcisse, très heureux d’exister enfin, décora son chapeau de feutre orange de cette jolie fleur jaune.

Shéhérazade, la fée conteuse, ne put s’empêcher de leur raconter l’histoire d’un autre Narcisse.

 

Narcisse était un jeune Grec d’une extrême beauté. La nymphe Echo en était follement amoureuse.

Un jour, Narcisse vit, dans l’eau claire d’une fontaine, le reflet de son très beau visage et tomba amoureux de sa propre image.

Le mythe raconte qu’il se noya en se penchant pour étreindre sa propre image ou qu’horrifié d’une passion sans espoir, il plongea un poignard dans sa poitrine. Son sang s’écoula dans la terre et c’est ainsi que serait né un narcisse à corolle bordée de rouge.

Mais la sage et avisée Shéhérazade dit que cette fin tragique du beau jeune homme avait été inventée par des penseurs austères, mystiques, moines, ermites illuminés, pour le punir du condamnable amour de soi.

« Le moi est haïssable », écrivit l’un d’eux. L’égo est source de tous les maux et insatisfactions. Il faut donc l’éteindre au plus vite, disaient les autres.

Le Christ n’avait-il pas sacrifié sa vie pour sauver l’humanité en se laissant clouer et écorcher vif sur la croix ?, disait l’Eglise.

Mélancolia, la lune, qui savait tout des humains, dit que ce sacrifice horrible avait été d’ailleurs bien inutile et sot car il n’avait rien sauvé du tout. Il y avait toujours des guerres, des meurtres, de l’esclavage, de la misère, du désespoir et les hommes étaient toujours aussi cupides et violents.

Shéhérazade partageait l’avis de son amie la Lune.

Elle ajouta même que s’aimer était au contraire une grande qualité.

Que parfois on était si seul sur terre qu’on ne pouvait plus compter que sur soi et s’aimer soi-même pour rester en vie.

Hansel et Gretel, Alceste, Sibyl, n’en étaient-ils pas la meilleure preuve ?

Tous approuvèrent et applaudirent leurs amies Shéhérazade et Mélancolia.

S’ils ne s’étaient pas assez aimés pour rester en vie, ils n’auraient jamais fui la servitude, la violence, la cruauté, la perfidie pour trouver une terre où ils étaient enfin à leur place.

Et pour célébrer l’arrivée de Narcisse et du joyeux Dionysos, leurs nouveaux amis, ils firent une fête qui dura jusqu’à l’aube.

 

Moineau

 

 

 

 

Lune

                                                        Ellénore

The Spirit Song. A Nordic Lullaby. Jonna Jinton.

 

La tentation du nihilisme 2

 

 

 

           Le domaine de Morte Colombe, souvent noyé dans le brouillard, ressemblait à un château en ruines, inhabité.

Pourtant, quand la nuit tombait, quelques fenêtres de la tour s’illuminaient.

Qui habitait là ?

Une âme errante ? Un fantôme ? Une créature solitaire qui avait choisi ce refuge, loin du monde des humains ?

Alceste, Hermeline et leurs amis étaient les seuls à avoir percé ce mystère.

Chaque nuit, quand la lune brillait, une femme sortait du château et venait se promener dans le parc.

Si on l’aimait assez pour la regarder longuement, on voyait bientôt apparaître deux femmes intimement liées l’une à l’autre. Mais il fallait être très patient pour apercevoir ces deux visages.

La première était pâle et rêveuse. Femme Lune. Femme Nuage. Femme blessée. Femme tuée dans une vie antérieure. Femme ailleurs.

La seconde la protégeait de sa force et de son amour. Femme orage. Femme tempête. Femme Feu. Femme debout. Femme guerrière.

Ces deux femmes étaient inséparables.

Alceste, Hermeline et leurs amis comprenaient en la regardant pourquoi ils avaient tous eu la certitude d’avoir enfin trouvé ce qu’ils cherchaient en arrivant au château de Morte Colombe.

Ils retrouvaient en elles leur mélancolie, leurs désillusions, leur douceur, leur calme mais aussi leur force, leur volonté de trouver enfin leur place sur terre coûte que coûte.

Avec elles, ils étaient à l’abri de la cruauté, de la violence, de la perversion des humains qu’ils avaient connus.

Ni Ellénore, la dame du château, ni ses hôtes n’avaient besoin de parler pour savoir qu’ils étaient bien ensemble et que personne désormais ne pourrait rompre cette belle harmonie.

Et quand l’aube se levait, on ne voyait plus qu’une seule femme rentrer lentement dans le château encore éclairé.

 

 

 

                                                                                                                             Lune

                                                                             Le rameau d'or

 

Le rameau d or 1

 

 

         Une nuit de pleine lune, Alceste, Hermeline, Mélusine et leurs amis virent quelque chose briller dans la forêt.

Ils se regardèrent, intrigués, et décidèrent d’aller voir ensemble ce que c’était.

C’est alors qu’ils découvrirent un merveilleux rameau d’or.

A côté, un livre était posé. Le titre était Le rameau d’or.

Ils les contemplèrent longtemps tant ils brillaient d’un éclat magique, sans oser y toucher.

Plus curieuses et intrépides que les autres, Hermeline et Shéhérazade, la fée conteuse, étaient impatientes de connaître ce que le livre racontait.

Tous se mirent autour d’elles et Shéhérazade, émue, commença la lecture du Rameau d’or...

Ils comprirent très vite que c’était Ellénore, la dame du château, qui avait écrit ce conte pour les remercier de leur présence, de leur courage et de leur douceur.

Elle leur offrait ainsi sa tendresse infinie.

Ce soir-là, elle ne vint pas se promener dans le parc.

Mais la flamme scintillante d’une bougie brilla sur le perron du château.

Ce livre les remplit tous de joie et jamais ils ne se lassèrent de le lire et de le relire.

Quant au rameau d’or, il brillait toutes les nuits au milieu de la forêt, tel une étoile tombée du ciel.

Ils regardèrent leur amie Mélancolia, la lune.

Jamais elle n’avait été aussi ronde, aussi brillante.

Alors ils dirent tous, en levant l’index vers l’astre doré :

« C’est là que nous aurions dû vivre. Nous nous sommes trompés de planète ».

Heureusement, ils avaient trouvé un coin de terre où la vie et le bonheur existaient encore.

Et c’est ainsi qu’Ellénore, Alceste, Hermeline, Mélusine, Hansel et Gretel, Sybil, Shéhérazade, Eros, Athéna, Dionysos, Narcisse et Mélancolia vécurent heureux au château de Morte Colombe jusqu’à la fin des temps… et n’eurent jamais d’enfants.

 

 

Lune 251215c 2 1

 

 

D'ailleurs ici. Pianocéan.

Marieke Hyusmans-Berthou